You don't have javascript enabled. Good luck with that.

X
Professeur

Augustin Ngumbi Amuri

Bienvenu sur ma page web... Vous êtes un visiteur?

Actualité LA JUSTICE EN RéPUBLIQUE DéMOCRATIQUE DU CONGO : TRANSFORMATION OU CONTINUITé ?

Publier le 19 Juillet 2019 à 00:55 sous autorité de Prof. Augustin Ngumbi
LA JUSTICE EN RéPUBLIQUE DéMOCRATIQUE DU CONGO : TRANSFORMATION OU CONTINUITé ?
Publier le 19 Juillet 2019 à 00:55 Par AUGUSTIN

Si l’implantation de la justice pénale comme socle de la justice occidentale n’a laissé que peu de place à des modalités alternatives, les conflits armés bouleversent les structures sociales et peuvent ainsi permettre l’apparition de conceptualisations différentes de la justice. L’article explore cette hypothèse à partir d’une recherche qualitative réalisée en République Démocratique du Congo. Les résultats obtenus conduisent à conclure qu’il se produit dans ce pays un renforcement du pénal, légitimé par les efforts d’amélioration du système déployés par les acteurs de la justice.

Les pays qui traversent une période de pacification, transition et reconstruction suite à un conflit armé interne sont confrontés au double défi d’être reconnus comme États légitimes aussi bien au niveau interne que par la communauté internationale. Pour ce faire, il est attendu de ces États qu’ils correspondent aux critères du modèle occidental (l’État-nation), érigé en archétype universel par l’Occident à travers le processus de colonisation. Une telle démarche représente des défis importants au sein desquels la question de la justice pénale représente un enjeu central puisque conçue comme étant un des éléments constitutifs de l’État moderne1. Réinstaurer la justice, pratiquer la justice, rendre justice représente donc un objectif primordial des pays en transition. En fait, dans de tels cas, le procès pénal est souvent perçu comme essentiel au rétablissement et au fonctionnement ordonné de la société civile. La justice pénale permettrait à l’État de revendiquer le caractère légal du nouveau régime en démontrant que l’État de droit a été établi ou réinstauré (Fletcher, Weinstin, 2002).

2L’implantation de la justice pénale comme socle de la justice occidentale n’a laissé que peu de marges de manœuvre pour des altérités. Néanmoins, les conflits armés bouleversent les structures sociales, économiques et politiques et peuvent ainsi permettre l’émergence de conceptualisations et de significations nouvelles de la justice (Gready, 2005). Ces périodes sont, en effet, propices à une nouvelle conceptualisation de la justice et à une remise en question des pratiques traditionnelles de celle-ci. En fait, pour certains, les sociétés post-conflit vivent une opportunité unique de déterminer quel type de système de justice doit être mis en place, de s’assurer que seuls les bons éléments de celui-ci soient implantés ainsi que d’installer des mécanismes qui veillent à sa bonne utilisation (Hohe, 2003). Le débat se centre alors sur la place que le droit pénal occidental et la régulation coutumière doivent avoir dans les modes de réaction sociale (Mary, 2006).

3En vue de poursuivre la réflexion sur la justice en période de reconstruction, nous avons réalisé une recherche qualitative visant à explorer l’hypothèse que les pays en transition sont confrontés à des changements et des bouleversements permettant un questionnement de la justice pénale comme mécanisme de règlement de problèmes sociaux et une ouverture à l’implantation ou l’incorporation d’alternatives au pénal.

4Dans cet article, nous expliciterons dans un premier temps le contexte et la méthodologie de la recherche réalisée. Par la suite, nous présenterons brièvement les débats de la littérature autour de la question de la justice « transitionnelle » et l’actualisation de ces débats en République Démocratique du Congo (ci-après RDC). Nous analyserons, dans la troisième partie, nos résultats de recherche sur l’État de la justice en RDC : les critiques formulées à l’encontre de la justice, les alternatives développées ainsi que les pratiques des acteurs. En conclusion, nous reviendrons sur notre question de départ : la période de transition en RDC a-t-elle engendré un questionnement ou un renforcement du pénal ? Nous mettrons ainsi en évidence, sur la base de résultats empiriques, que le débat autour de la gestion des crimes de guerre et des crimes ordinaires en période de transition a finalement donné lieu à un renforcement du pénal. Les propos recueillis nous permettront de voir comment, en dépit des alternatives développées par la population, la pression pour la reconnaissance en tant que démocratie et pour l’obtention de l’aide internationale implique, de façon plus ou moins explicite, l’adoption d’une justice pénale ou tout au moins la mise en forme et l’institutionnalisation pénale des alternatives envisagées dans la gestion des conflits criminalisables.

Une recherche en République Démocratique du Congo

5La République Démocratique du Congo est un cas particulièrement intéressant pour traiter de la question du développement de la justice pénale et de ses alternatives suite à un conflit armé. Lors de la colonisation belge, la justice pénale fut instaurée comme mécanisme de règlement des problèmes sociaux en mettant de côté et rendant illégitimes des mécanismes alternatifs de résolution de conflits. La justice pénale était en fait un outil du colonisateur qui fut maintenu après l’indépendance comme outil de l’État. Jusqu’à récemment, la RDC n’avait pas véritablement connu de période démocratique. Ce pays a vécu sous la dictature de Mobutu pendant trente-deux ans pour être par la suite engouffré dans deux guerres civiles qui ont provoqué la mort de millions de personnes, produit des millions de réfugiés et de déplacés ainsi que donné lieu à d’incalculables violations des droits humains, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

6La dictature de Mobutu s’est caractérisée par l’utilisation de la violence politique, de la corruption ainsi que par une grande tolérance envers les « débrouillardises » individuelles (Kamba, 2008). Une combinaison d’éléments tels que les problèmes internes, le génocide rwandais, l’exploitation des ressources naturelles ainsi que l’économie de guerre a fait basculer le pays dans une guerre civile (Vlassenroot, 2003). La première guerre civile initiée en 1993 s’est terminée avec la défaite de Mobutu par Laurent Désiré Kabila en 1997. Cependant, la pacification du pays n’a pas été achevée puisqu’une seconde guerre civile éclate en 1998 lorsque Kabila rompt avec ses alliés de 1993. Après son assassinat, son fils Joseph Kabila reprend le pouvoir et poursuit la guerre jusqu’à la signature de l’accord de paix à Sun City (Afrique du Sud) le 2 avril 2003. Cet accord a donné lieu à un gouvernement de transition qui a assuré la tenue d’élections démocratiques en 2006 à la suite desquelles Joseph Kabila a été élu président. En dépit de la fin de la guerre civile et des élections démocratiques, la violence continue de nos jours dans le nord-est du pays, particulièrement dans la région du Kivu.

7La recherche eut lieu à Lubumbashi2 en mai 2007 avec le support du CEFOCRIM3. Douze entretiens semi-directifs furent réalisés4 auprès d’acteurs de la justice identifiés à travers un échantillonnage par boule de neige5. Le choix des interviewés a été guidé par la préoccupation d’accéder à des discours caractérisés par une réflexion sur l’état de la justice, les pratiques de la justice, le développement des pratiques alternatives et la transformation de la justice et de ses institutions. L’échantillonnage a été diversifié selon le milieu d’activité professionnelle des interviewés : trois avocats d’ONG nationales sur les droits humains, trois acteurs de la société civile6, deux policiers, deux juges (un civil et un militaire) ainsi qu’un directeur de prison et un avocat employé par l’ordre des avocats (le barreau). Cette diversité visait à avoir un aperçu des discours produits sur la justice en tenant compte d’une panoplie de points de vue selon leur rôle joué au sein de la justice pénale. Cependant, l’échantillon s’est avéré homogène au niveau des caractéristiques sociodémographiques des interviewés : ils étaient tous des hommes âgés de 33 à 46 ans ayant le droit7 comme formation principale à l’exception d’un politologue. Au moyen d’entrevues thématiques, nous avons examiné la manière dont divers acteurs sociaux impliqués dans la justice en RDC conceptualisent et pratiquent la justice en nous intéressant particulièrement aux défis et limites qu’ils rencontrent dans la pratique et l’implantation de leur justice « idéale ».

8Nous avons rapidement relevé que les acteurs de la justice rencontrés considèrent la gestion des crimes de guerre comme un élément important du processus de transition pour établir la vérité, éviter l’impunité et repartir sur de nouvelles bases. Cependant, contrairement à la documentation produite sur la justice transitionnelle, ils identifient la gestion des crimes dits « ordinaires » comme étant pressante et nécessitant l’attention immédiate des chercheurs, du gouvernement et de la communauté internationale.